NOUVELLE : LE SUD, MYTHE OU REALITE ?

NOUVELLE : LE SUD, MYTHE OU REALITE ?

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Afin de participer au concours de nouvelles 2021 de l’Association Auteurs d’avenir sur le thème « LE SUD », voilà ce que j’ai proposé au jury :

LE SUD, MYTHE OU REALITE ?

C’était devenu  une sorte de rituel ! Tous les ans, quand venait le jour attendu depuis onze mois, le 1er d’un mois de Juillet ou d’août, selon les congés payés accordés par le patron, ils quittaient leurs H.L.M  Parisien en rang d’oignon pour un périple, celui-là sans étape,  avec un  cap obligé : le Sud !

Le Sud ! Mythe ou réalité ? D’abord, quel Sud ? Les gens du nord de la Loire vous diront que le Sud, c’est d’abord la mer, le soleil à perpétuité, le farniente, l’amour débridé. On peut alors comprendre que la plupart des citadins du Nord  l’idéalisent. Même pour les Occitaniens citadins qui en sont originaires ou qui y habitent, eux aussi  enfermés dans leurs cités surchauffées en été, pour les  gens du Midi, le sud, c’est aussi et avant tout la mer. Mais le mythe du Midi, du Sud, en gros tout ce qui se trouve au sud de la Loire, peut s’avérer pour les gens du Nord qui rêvent de s’y installer, un véritable mensonge ! Un mythe, quoi ! Parce-que même quand on y est né, il ne faut surtout pas croire que vivre dans le sud, c’est un peu comme si l’on était éternellement en vacances !

Déjà, dans les années cinquante, prénom Valentin, notre héros Parisien, à l’âge où l’on pouvait encore lui presser  le nez pour en sortir du lait, se fabriquait les souvenirs impérissables  des départs « en vacances ». La descente vers Toulouse était interminable dans la Peugeot 203 commerciale familiale noire surchargée, toutes vitres baissées pour tenter de faire entrer un semblant de courant d’air. Puis la 113 depuis Toulouse jusqu’à Narbonne et la 9 de Narbonne vers l’Espagne. Aller « à la mer » relevait alors  de l’exploit. Hà ! Sur la route nationale conduisant à La Nouvelle, après l’épreuve de la bifurcation de Narbonne, ils  devaient traverser le bouchon de Sigean, véritable étranglement sur la route des vacances ! Que de temps passé à avancer, centimètres par centimètres, le capot dans le cul du véhicule de devant, à se mêler aux Parisiens qui semblaient avoir tous déserté la capitale  en même temps. Bien sûr, on pouvait aussi tenter de passer par les corbières mais il fallait avoir le cœur bien accroché (« le mal de mer » ils disaient !) et traverser la route nationale à Sigean  pour aller à La Nouvelle, ce qui relevait encore de l’exploit.

La mer ! Enfin ! La « Plouffe » (faire plouf !). Déjà, Valentin, à l’âge à faire des pâtés de sable avec tout l’attirail nécessaire  autour de lui : pelle rouge, seau jaune, râteau vert, passoire noire, divers moules multicolores, matériel qui avait été transporté dans la poussette ensablée jusqu’à mi- roues  qu’il avait fallu tirer de toute force. Planté sur ses fesses, il traînait ses langes ou son maillot de laine tricoté orné d’un petit pompon  dans le sable, attrapait des irritations partout où le sable  s’infiltrait sournoisement, ce que tous les plis de la peau ne toléraient que peu. Aussi,  il était nécessaire que maman répare les dégâts  avec d’épaisses couches de pommade de  Mitosyl qui, comme de bien entendu, sentait fortement l’huile de  foie de morue. Huile de foie de morue  que lui faisait aussi  avaler de toute force sa grand-mère qui le trouvait sans doute assez chétif pour le fortifier avec cette infâme mixture. Par le bas et par le haut ! Totalement cerné ! Aujourd’hui, on dirait dans le langage des jeunes : « dégouté ! ».

Finalement, sans doute la force de l’habitude,  Valentin avait accepté bon gré mal grés mais finalement avec plaisir de trouver refuge tous les étés sous des parasols de plus en plus grands et de plus en plus décorés de publicités dont le thème principal était très souvent des boissons anisées fort prisées dans notre Sud ou de quelques vins cuits Catalans.  Là, au pied des vaguelettes qui venaient mourir sur le banc de sable fin de la plage, sur son rectangle de serviette de bains plaqué au sol par des galets spécialement apportés pour éviter qu’il ne s’envole, entièrement cerné par des rangées de serviettes s’étalant comme un damier, toutes également occupées, parfois même par plusieurs personnes à la fois,  il tentait de  béatifier devant le bleu de la mer et la garrigue qui s’étendait dans les collines  dominant la plage, qui aurait pu être bercé par  le « cricri » lancinant des grillons et des cigales, mais souvent dominé par des transistors l’un hurlant « salut les copains », un autre les rengaines d’ « Age tendre et tête de bois », ou de « la radio des vacances » (R.M.C). Et les  odeurs !  Mêlées d’huile solaire et d’huile bronzante consciencieusement appliquées toutes les deux heures sur les épaules et la devanture de celles qui ne se dispensaient pas de porter chapeau de paille, un T-shirt placardés de publicités, une devant et l’autre sur le dos, comme s’il s’agissait d’homme-sandwich.

Au fur et à mesure que le temps passait,  les modifications notables dans la mise des dames s’exposant aux rayons du soleil affectaient Valentin et il fallut attendre quelques années pour que les échancrures des  maillots de bain passent de « haute » à « basse » et que les « une pièce » de nos grands-mères se transforment en deux pièces, puis en bikini. Et puis, un peu plus tard encore, certaines  abandonnèrent le balconnet pour exposer à la vue de tous leur générosité. Il faut avouer qu’avec l’âge,  Valentin  est rapidement arrivé où il n’en perdait pas une miette ! Et bientôt, à l’occasion des premières amours de l’été, il se  souviendrait des désagréments du sable qui se glisse partout lorsqu’on s’y roule dedans tout nu, surtout enlacés ! Aux mêmes maux, même remèdes !

Alors, la vie lui semblant de plus en plus insupportable où il était,  et sans doute comme bien d’autres gens du Nord, vint à Valentin l’envie de plus en plus pressante, une folie diront certains, de quitter Paris et  d’aller s’installer dans le Sud. Mais où, dans le Sud ? A coup sûr, le plus  près possible de la mer ! Parce-que la vie doit y être plus belle ! Peut-être une illusion, d’ailleurs ! Sûrement, même ! Rien foutre, le soleil, la mer, des femmes (presque) nues, l’apéro et le vin : c’est le bonheur ! Cela ressemble au paradis. La mer, le ciel bleu, les pins, les cigales, les odeurs de lavande, de poisson et de melon frais, les fruits gonflés de soleil et de sucre qui fondent dans la bouche, les tomates « à la coque sel », les légumes frais à profusion et quasiment toute l’année. Sans oublier  le pastis et les clopes  détaxés de La Jonquera !  C’est bien beau, tout ça, mais Il fallait, quand même se le gagner !

Il y avait quand même loin entre la villa avec piscine ombragée de pins qui accueillait jusque-là Valentin pendant les congés payés et le petit casot  de la très grande banlieue de Perpignan acheté à crédit à prix d’or et remboursé avec peine ! Cela laissait quand-même présager de la farandole des déceptions à venir ! Parce-que dans le Sud aussi, à moins d’être rentier, il faut travailler pour vivre. On a beau chanter qu’il « fait trop chaud pour travailler », dans le Sud, la plus courante des activités, c’est le chômage. A leur âge déjà avancé, Valentin et son épouse ne pouvaient espérer grand-chose : Devenir Député et faire voter une allocation spéciale de 1000 euros/mois qui serait versée aux habitants des zones surchauffées du Sud  (à cause du changement climatique !) mais faut pas rêver ! Des petits boulots saisonniers à mi-temps comme ouvrier agricole, ou caissière, ou serveur ? Quatre chèvres dans le maquis ? Un arpent de terre à peine arable pour quelques légumes ?

Mais, vous savez, au rythme des saisons, en passant du printemps à l’été, de l’été au printemps,  en se contentant de peu,  on peut très bien vivre, très très  bien même ! Le bonheur existe ! Il s’invente au présent ! Avec sa petite retraite Valentin et son épouse s’aménagent une vie conforme à leurs souhaits : être libre. Libres de regarder « les z’amours » sur la deux, d’écouter d’une oreille  les actualités et de ne rien comprendre à ce qui y est affirmé avec conviction et qui s’avère si éloigné de ce qu’ils vivent en réalité, de regarder «  William à midi », de faire la sieste devant « Mégret », d’entretenir le jardin avant d’aller faire un tour à la plage et de recevoir quelques potes à l’apéro pris sur la petite terrasse du casot arrangé à leur goût. Une haie de cyprès pour protéger de la tramontane et de baies pour les confitures : framboises, myrtilles, mûres, groseilles, trois pieds de Chasselas laissés vagabonder sur une treille contre le mur le mieux exposé, des fleurs des quatre saisons partout, un cerisier de Burlat, un figuier et un olivier qui semblaient être là depuis la création de ce paradis ! Sans oublier le petit carré de plantes aromatiques pour les grillades !

Même si en réalité, il fait réellement chaud  4 mois dans l’année, de quoi bronzer des pieds, peler du crâne et du nez et voir prospérer les feux de forêt.  Le reste du temps, la marinade et son ciel couvert qu’ils préfèrent toutefois à la  tramontane qui soulève des tempêtes de sable qui cinglent les mollets, oblige à plier des parasols prêts à s’envoler vers l’Algérie si l’on n’y prend garde ou embrocher le voisin. Il ne reste plus alors qu’à fuir la plage pour aller se réfugier dans les rochers surpeuplés de la jetée où dans la garrigue. Même la pataugeoire  minuscule baptisée  piscine réfugiée sous quatre palmiers n’y suffirait pas !

Enfin les pieds bien ancrés dans le Sud, la plaque d’immatriculation arborant le blason Catalan en signe de bonne intégration et  pour ne pas être pris d’emblée pour un parigot, le temps passa. Valentin vécut la fraicheur du printemps qui ne suffisait pas à apaiser les organismes usés par un confinement subi à cause de cette pandémie nommée COVID, numérotée dix-neuf ( « CO » pour « corona », « VI » pour « virus », « D » pour « disease » qui signifie « maladie » en anglais et enfin  « 19 », car la maladie est apparue en 2019, finalement ainsi désignée pour éviter de stigmatiser la population de Wuhan, nom de la commune chinoise où le premier cas du coronavirus serait apparu dans des circonstances encore floues, ce qui permet à quelques pays de s’en rejeter mutuellement la responsabilité de l’origine. N’empêche, 2020 et 2021  entreraient sans nul doute dans les quelques  « annus horribilis » vécues depuis la naissance des temps. Une crise aussi marquante de la peste noire de 1346 qui nous était arrivée par la route de la soie ou  de la « grippe Espagnole » de 1918 qui n’avait d’ailleurs rien d’Espagnol ! Puis était venu le temps, en 2020, où les chevaux avaient été lâchés pendant un été qui nous avait  été annoncé comme étant  très chaud et pendant lequel, selon les réflexions de notre premier ministre lui-même,  il ne faudrait pas  déconner sous peine de replonger.  Et ils ont déconné ! Bref, ils étaient à nouveau confinés, puis à nouveau déconfinés à la veille de l’arrivée de la foule bruyante des envahisseurs de l’été, ceux qui, comme eux il y a quelques dizaines d’années déjà,  voulaient absolument revivre l’entassement des H.L.M qu’elle connait toute l’année en venant chez nous, qui allaient à nouveau envahir nuit et jours  nos H.L.M à nous et nos plages, nos restaurants, boites de nuit, bistrots, bordant sur des kilomètres et des kilomètres le cordon de sable fin souillé par la horde des baigneurs et finalement ratissé tous les jours par des engins peu économes en énergie.

La vie en commun des résidents ordinaires et des autochtones en particulier, beaucoup plus apaisante allait cesser son cours. Il faudrait attendre la fin de l’été pour que les activités associatives reprennent, chacun selon ses goûts et ses couleurs, ce qui ne se discute pas. Mais quand-même sang et Or ! En l’entrée de cet été 2021 qui s’annonçait, les bronzages s’exposaient déjà  sur les peaux qui ne tarderaient pas d’être  martyrisées par les rayons de soleil, donnant aux femmes, qui ne cachaient toujours pas grand-chose à cause de la chaleur, même le bas du visage enfin dévoilé, une couleur chocolat au lait qui leur allait à ravir. On en croquerait ! Notre Rugby était au mieux, le XIII en tête du classement Anglais, comme le XV, requalifié pour jouer en Nationale après deux ans de purgatoire en D2. Les stades, pleins d’enthousiasme Catalan, résonneraient de nos chants révolutionnaires repris à pleine voix par des milliers de poitrines gonflées de l’orgueil qui nous va si bien ! : « Ici, c’est PERPIGNAN » hurleraient les foules en jaune et rouge pour intimider les adversaires qui se demanderaient avec  anxiété, où ils avaient dû, exigence du calendrier des rencontres, mettre leurs crampons jusqu’à en être ‘mal dans leurs petits souliers’ !

Oui, finalement,  Valentin et son épouse se la coulaient douce ! Ils étaient heureux ! Ils avaient même pris l’accent chantant Catalan, ils étaient heureux de vivre, se congratulaient avec Monsieur le Maire, ils connaissaient tout le monde par leur prénom, tous savaient qu’en cas de pépin on pouvait compter sur eux, et  prévoyants de nouveaux confinements, ils avaient en réserve, non-pas du P.Q, mais quatre mois d’avance de biscuits apéro !

Et toi, le Parisien, as-tu déjà songé à vivre dans le Sud ? Et si le bonheur se trouvait au bout de l’autoroute du Sud ? Mais quel Sud ? Assurément le nôtre !

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